Carnet de bord

Kuujjuaraapik/Whapmagoostui

Antoine, 21 août 2004

Ce soir, en quittant la cantine du camp de construction, le vent froid et humide qui s'est engouffré dans la porte m'a glacé le sang. -"La neige ne devrait pas tarder" a maugréé l'un des travailleurs de Cree Construction qui passait à mes côtés. Effectivement cette vision du nord l'été est passablement déprimante. D'ailleurs, il n'y a pas eu d'été cette année m'a confié Andrew.

À l'inverse, le travail avance à une vitesse étonnante. En une semaine, que de choses accomplies avec Andrew. Le Band office est connecté avec ses nouveaux serveurs, ses nouveaux PC. Le site de la Warehouse est lui aussi connecté mais faute de câble, nous avons du y interrompre nos travaux hier. J'étais parti de Montréal lundi dernier avec de nombreuses appréhensions quant à ma capacité à finir toutes les tâches prévues en moins de 12 jours. J'avais laissé Xavier à Waskaganish qui s'en allait à Nemaska.

En arrivant à Kuujjuaraapik, un passager de l'avion s'est levé en pestant contre l'hôtesse qui ne l'avait pas réveillé à Chisasibi. Une journée de perdu pour lui. Il y avait également deux techniciens en électricité qui venait brancher la pompe d'alimentation du circuit d'aqueduc (eau potable) qui vient de se mettre en fonction pour le village Cree et Inuit . Fini les camions d'eau et de vidange à Kuujjuaraapik et Whapmagoostui !

vueLe camp des travailleurs de la construction où je loge depuis une semaine n'est pas spécialement confortable mais réellement chaleureux. Jean, cuistot du camp, nous cuisine une bouffe de travailleurs, nourrissante à souhait. Au diable les légumes au pays du nord ! Nous avons un régime copieux de pâtes, viande, frites, purée, etc... Assis sur des bancs en bois, on mange entre hommes au son de "calice", "ostie" ou "Tabernac". Le rythme de la vie est régulier pour ces gars-là. Levé à six heures, déjeuner oeuf, bacon, cretons puis sur le chantier à 7 heures.

Hier soir, à l'heure du retour du boulot vers 10 heures, je trouvais nos travailleurs en pleine discussion avec une bande de filles dans la cuisine. Les bouteille de whisky et de rhum étaient déjà vidées depuis un moment et David, un jeune travailleur de la Gaspésie, jouait des tounes de musique québecoises sur sa guitare folk avec un certain talent. Beau comme un cour, 23 ans, tout frais sorti de la douche, il chantait à tue-tête la musique de Kevin Parent, Paul Piché ou bien encore la chanson de la Manic. -"Si tu savais comme on s'ennuie... à la Manic..." Les filles, infirmières du CLSC, se pâmaient devant ce beau gars au regard bleu profond. Entre deux tounes, il inhalait des bouffées de pot d'une pipe maison faite à partir d'un robinet de toilette... De la simplicité à l'état brut. On s'est couché tard après des discussions simples et drôles, (vu l'état des gars) et ce matin on s'est levé tôt, sous le vent, le froid et la pluie.

Catherine, 23 février 2004

Nous terminons dans la matinée la configuration du poste d'Alice et Louisa a très hâte de commencer sa formation. Je reste à côté (bien que je n'y comprenne que dale puisque le tout se déroule en inuttitut) et quand Louisa n'est pas certaine, je m'approche et réponds à leurs questions. Après deux heures de formation, qui se poursuivra ce matin, Alice termine sa journée en déclarant : « Je viens de découvrir un autre monde, c'est mon patron qui va le regretter. » Quant au patron (Alek, d'une gentillesse extrême), il sera le prochain formé mais ce sera une autre histoire car je ne crois pas qu'il se soit jamais tellement approché d'un clavier. Hier, il s'inquiétait surtout de la taille de l'écriture à l'écran : « Est-ce qu'on pourra agrandir les lettres, demande t-il, car je dois préserver mes yeux pour la chasse! ». Il est justement parti chasser pour la journée ce jour-là. Je saurai ce matin si la chasse a été fructueuse.

Aujourd'hui, je planifie une petite tournée au bureau de la municipalité, puis un petit tour au bureau de la Police pour voir en quoi je pourrais donner un coup de mains à Duane et John. Selon toute vraisemblance, Louisa et moi nous chargerons de la formation du bureau du Employment & Training et des officiers de police, tandis que Duane et John s'occuperont de déplacer l'antenne du Daycare et de fixer la quincaillerie Télécom pour un nouveau client, dont nous attendons toujours cependant la confirmation de l'entente. Il nous reste encore le poste du Youth Center à configurer.

En conclusion, ce séjour se déroule chaque jour de mieux en mieux et il me semble bien que le Nord me réserve de belles aventures pour la prochaine année. L'expérience des stagiaires est jusqu'à maintenant un grand succès. Elle favorise l'établissement d'un bon contact avec les clients. Il faut dire que la belle personnalité de nos deux joueurs est un bel atout.

Catherine, 21-22 février 2004

Nous attendions tous impatiemment le vendredi soir pour aller goûter au buffet traditionnel qui est servi au club social chaque vendredi, mais surtout pour danser et se détendre tous ensemble. Mais voilà qu'un homme de la communauté Cri est décédé jeudi et qu'en respect à sa mémoire, les deux bars de Kuujjuaraapik - Whapmagoostui sont fermés. Louisa profite donc de sa soirée pour faire la tournée des innombrables gens qu'elle connaît dans le village avec une copine d'enfance également rencontrée par hasard. Duane et John en profitent pour aller s'entraîner au magnifique Gym et faire quelques ballons de basket : ils reviennent tous les deux complètement vannés. La veille, Louisa et moi avons échangé quelques volants puisque c'était la soirée du badminton.

InukshukSamedi soir, je suis reçue à souper chez la directrice d'école, Éliana, originaire du Pérou, citoyenne costaricaine et canadienne. Nous prenons d'abord une belle grande marche jusqu'à l'immense Inukshuk qui annonce le village aux abords de la Baie. Éliana en profite pour s'épancher dans sa langue maternelle, ce qui me fait chaud au cour et me rappelle que j'adore l'espagnol, quelle poésie! Mais Éliana se couche tôt et je rejoins vite mes collègues au club social. Nos jambes nous démangent et John et moi brisons la glace avec quelques pas de danse. Bientôt tout le bar (jeunes et moins jeunes) nous rejoignent et c'est parti pour une magnifique soirée de plaisir sur la piste. Plein de gens rencontrés dans le cadre du travail sont présents et semblent ravis de voir que nous partageons avec eux leur détente hebdomadaire. Mais le point culminant de la soirée fût sans contredit l'arrivée triomphale de Duane sur la piste (ennuyé d'être assis seul à sa table) qui nous a éblouis par ses talents de danseur digne de John Travolta (sans blagues!). Ce Duane a plus d'une surprise dans son sac! Dimanche, John et Louisa me rejoignent en début d'après-midi au Gymnasium où nous poursuivons notre travail pour le Land Holding.

Catherine, 17-20 février 2004

LouisaDès le lendemain, après une rencontre d'équipe qu'anime brillamment notre ami Luc, j'initie Louisa aux joies des mises à jour de Windows sur les postes d'André Morin, responsable du centre sportif de Kuujjuaraapik, tout en lui expliquant la structure du réseau dans le Gymnasium. En même temps, nous terminons la configuration du tout nouvel ordinateur de Margaret Audlarock, représentante du Cree Human Resources Department (CHRD) à Whapmagoostui. Celle-ci est très enthousiaste devant ce magnifique écran plat qui lui a été livré. Mais son intérêt pour l'apprentissage du courriel est encore plus fascinant. Il faut voir son sourire lorsqu'elle reçoit des messages de ses collègues du bureau de Montréal. J'initie aussi Margaret à son nouvel appareil photo numérique (transfert des photos, localiser les photos dans l'ordinateur, etc.). Nous prenons quelques photos d'elle (que nous visionnons en diaporama - elle est ébahie) et nous choisissons la meilleure qu'elle envoie par Internet à une collègue qui doit la faire paraître dans un journal du CHRD. Nous en profitons pour mettre une photo d'une de ses petites filles en fond d'écran . Elle prend des notes pour être en mesure de changer la photo de temps en temps!

AliceDurant cette semaine, Louisa est des plus efficaces. Après quelques heures de travail sur l'ordinateur d'Alice Meeko, employée du Land Holding, nous en venons à la conclusion qu'il est dans notre intérêt de formater et réinstaller au grand complet cet ordinateur, qui semble plus apte à geler qu'à nous laisser travailler. Louisa est enchantée de se prêter à cet exercice. Après nous être assurées par deux fois du backup des données d'Alice, nous nous lançons. Avec un peu d'assistance, Louisa s'occupe de chercher sur Internet les drivers plus très récents et elle s'occupe essentiellement de tout, moyennant quelques conseils. Même quand tout se passe bien, ce travail est toujours long et fastidieux, mais le rire enjoué très caractéristique de Louisa continue de résonner dans les bureaux.

De leur côté, Duane et John terminent le câblage à l'édifice de la Cour, pour le bureau du KRG Employment et Training. Ils travaillent aussi très fort sur les postes du bureau de Police, dont la configuration semble être passablement compliquée.

Catherine, 16 février 2004

Luc, Duane et moi conduisons Antoine à l'aéroport et attendons du même coup l'avion de nos deux stagiaires en provenance d'Inukjuak. Souriant et un peu timides, Louisa et John nous serrent la main et nous partons à la recherche de la boite de John, égarée dans les coulisses de l'aéroport, laquelle contient rien de moins que son tout nouveau portable. Après une petite virée au célèbre Northern, nous conduisons les nouveaux venus chez Audrey qui les logera durant les trois prochaines semaines. Elle les accueille d'un magnifique et chaleureux sourire. Un bon souper les attend. tandis que nous rentrons à l'hôtel cuisiner notre faste repas!

Antoine, 14 février 2004

Le voyage se termine pour moi puisque le retour est prévu lundi. Luc nous a rejoint à Kuujjuaraapik mercredi dernier alors que la tempête ne faisait que commencer. Or voici bientôt 4 jours que le vent et la poudrerie balaient le village sans discontinuer avec des températures très froides. Tous les travaux sans-fil d'extérieur sont rendus impossibles de par ces conditions météo. Il n'en reste pas moins que je suis bien content de retrouver mon copain et maintenant collègue Luc. Kuujjuaraapik ou plutôt Whapmagoostui dans son cas, revêt un côté très sentimental pour Luc puisque voilà bientôt 10 ans qu'il n'y était pas revenu. Ses 5 années passées au village lui ont sans aucun doute laissés des souvenirs inaltérables à en juger par les accueils particulièrement chaleureux que ses amis Cris lui ont réservé lors de la tournée que nous avons faites ensemble dans le village Cri. Attentif et curieux, j'ai photographié ces instants d'effusion toute relative quand on connaît la réserve habituelle de ces peuples.

Entre deux visites, nous avons pris rendez-vous avec le grand Chef du village, David Masty pour le vendredi matin. Le grand chef Cri m'a véritablement impressionné par sa sagesse et son aspect typique. Grand et majestueux, il avait l'allure d'un vrai chef indien tel qu'on s'attend à en découvrir un dans un village amérindien. Le regard profond et la parole posée, il nous a parlé du projet Internet Cri qui doit possiblement voir le jour cet été pour les communautés Cries. La discussion m'a particulièrement ému lorsque Luc a réveillé les vieux démons du barrage hypothétiquesur la rivière de Kuujjuaraapik. Avec conviction et sincérité, le chef a affirmé que ce projet ne verrait le jour que sur son corps mort.

Youth CenterEnsuite, nous nous sommes dirigés au Centre pour les jeunes Inuits que nous devons connecter à l'Internet. Duane s'est chargé de refaire la connexion sans-fil qui présentait des lacunes tandis que je me chargeais du câblage à l'intérieur de l'édifice. En serpentant le fil au milieu d'une guerre de jeux vidéos au cours de laquelle les jeunes s'initiaient aux joies de l'informatique, la jeune responsable inuit du centre se demandait avec grand intérêt et une certaine joie quand elle serait enfin connectée à l'Internet. Ce petit sourire et cette complicité m'ont rappelé avec plaisir que notre travail est toujours aussi utile pour ces jeunes communautés éloignées et curieuses de nouvelles technologies. Il fallait bien cela pour me réconcilier un peu avec ce village de Kuujjuaraapik dans lequel il aura fallu gérer une crise après l'autre, principalement autour d'un Daycare particulièrement sensible.

Antoine, 10 février 2004

Après un début de semaine infernal, il était temps de prendre un break. Le soleil qui cognait sur Kuujjuaraapik nous a donné envie de partir voir le bout de la route la plus longue du village, jusqu'à la baie. Le contraste entre le village de Kuujjuaraapik qui ressemble à la banlieue industrielle de Montreal et la nature environnante est assez saisissant. Aussitôt passé les derniers blocs de tôle, la nature reprend ses droits. Les Epinettes noires sont plus grandes qu'ailleurs au Nunavik, la neige plus épaisse et surtout, la baie d'Hudson et ses îles côtières sont impressionantes. Duane, photographe en chef du moment, a réalisé de beaux clichés de nature proche ou éloignée avec un certain talent. Je l'ai moi-même surpris en plein effort.

Kuujjuaraapik égliseIl faut dire que Duane se préoccupe étrangement de sa ligne ces temps-ci. Il a même demandé à Luc, qui nous rejoint demain, de lui amener ses running shoes pour se pratiquer sur la planche à courir du Gymnasium dans lequel nous travaillons depuis lundi. Le travail de câblage, long et fastidieux, que nous y effectuons entre deux urgences téléphoniques servira à brancher le landholding, les bureaux de la municipalité et le CHRD (Cree Human Resource Department). Alice Meeko du landholding Saqquk nous a facilité la tâche ce matin en nous tenant compagnie lors de notre câblage dans le plafond. Elle nous a raconté l'histoire de l'église de Kuujjuaraapik qui a été transportée au début du siècle depuis Kuujjuaq en traineau à chien ! (voir la photo de l'église)

Catherine, de son côté, a eu son lot de difficultés avec l'ordinateur du Daycare, une vieille machine clonée qui a brisé dans nos mains dès sa mise à jour. Nous avons alors peinés deux jours complets pour récupérer les données comptables. Avec l'aide de Salvatore (Pratte), notre sauveur, Catherine finissait par trouver une solution hier, tard dans la soirée. Sarah Quarak, nouvelle directrice, allait enfin pouvoir emmettre les chèques de ses employés. A noter que Duane était méconnaissable ce matin, calme, philosophe, l'air frais et reposé. Pas le moindre "Fuck", ni même l'ombre d'un "Shit". C'est lui-même qui me rappelait à l'ordre, puisque à son contact je jurais comme un charretier. Il avouait même flegmatique que son sommeil avait été interrompu toutes les heures pour une raison étrange. Le bougre m'a alors confié, avec un air méconnaissable qu'il lisait chaque soir la bible du Dalai Lama, après sa game de Hockey....Preuve à l'appui, il me sortait sa bible de sa poche arrière droite. Devant mon air incrédule, il me décochait une belle flopée de jurons. La journée pouvait commencer !

Antoine, 4 février 2004

Après un vol de 4 heures, l'avion d'Air Inuit arrivait à Kuujjuaraapik autour de midi en plein brouillard, après une tentative d'atterrissage infructueuse. Duane était là, fidèle au poste et inchangé, à un détail prêt puisque le mégot avait disparu au coin des lèvres. "I quit smoking" m'avoua-t-il fièrement ! Par un étrange concours de circonstances, Catherine et moi devions nous rendre au Coop Hotel tandis que Duane avait choisit un hotel à l'autre bout de la ville, mais sans service ni cuisine.

Après un échange de cadeau en règle au cours duquel je recevais un T-Shirt de Goose Bay tandis que j'offrais son T-Shirt de Captain Haddock à l'ami Duane, nous avons aussitôt commencé l'inventaire des lieux et des travaux. Ce village est scindé en deux parties: Kuujjuaraapik pour les Inuits et Whapmagoostui pour les indiens Cris. C'est ici que l'iglou rencontre le Tipi avec toutes les conséquences logistiques qui en résultent: 2 écoles, 2 postes de police, 2 mairies, 2 arenas, etc... Tous les services sont dupliqués pour répondre chacun aux besoins de leurs communautés respectives. Il en résulte pour nous un surcroît de travail dans la mesure où certains organismes Cris devront également être connectés.

Après les présentations d'usage au bureau municipal et notamment avec le maire Lucassie qui porte une casquette de lieutenant de cavalerie avec les deux sabres croisés, Duane et moi avons mis le cap sur le Gymnasium pour découvrir avec surprise que l'école y avait installé ses classes du fait de l'incendie qui a détruit leur bâtiment quelques semaines plus tôt.

Nous en profitons également pour répondre à des besoins spécifiques : l'un souhaite pouvoir éditer ses documents sur telle imprimante, l'autre voudra connecter l'appareil photo à son ordinateur pour promouvoir son département, alors qu'un troisième souhaite connaître la formule magique sous Excel pour faire un tableau comme-ci, puis comme-ça, et avec le total là, en bas à droite. Et puis j'ai fait ma B.A. de la semaine en remplaçant le clavier très usagé de Charlie. Ce dernier est en charge de la traduction de nombreux documents, et il me semblait important qu'il disposât d'un clavier irréprochable. C'est chose faite.

En circulant dans la bâtisse, je trouvais également Margaret, employée du Cree Human resource department, qui m'annonçait que tous les employés de CHRD se trouvaient justement en réunion dans le village. Toujours accompagné de Duane, dans notre formidable 4x4 Ford du KRG ET, j'en profitais pour aller saluer mes amis et clients dans le village Cri. Notre circuit d'inventaire et de présentation terminé, le travail a commencé rapidement au rythme habituel en commençant par le NV. Après seulement 3 jours d'ouvrage je dois bien avouer qu'il faudra un à deux mois pour connecter pas moins de 9 organismes dans ce village.

Le problème des ressources humaines se pose alors avec toujours plus d'insistance. C'est dans cet esprit que j'ai rencontré Jalal, un syrien qui habite Kuujjuaraapik, analyste programmeur de formation, dans l'idée d'avoir une ressource supplémentaire dans ce village.

 

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